Quand l'empereur était un dieu, de Julie Otsuka.
Lu en deux jours seulement, Quand l'empereur était un dieu est le premier roman de l'auteure américaine d'origine japonaise Julie Otsuka. Bien que son second roman Certaines n'avaient jamais vu la mer soit plus célèbre en raison du bon accueil que lui a réservé la critique, le public mais aussi la blogosphère, ce premier roman mériterait, selon moi, d'être tout aussi célèbre.
En effet, l'auteure nous présente ici un aspect méconnu de la Seconde guerre mondiale traité pour la première fois en littérature (du moins à ma connaissance). Il s'agit de la déportation dans des camps de "concentration" des populations japonaise ou d'origine japonaise vivants sur le sol américain après l'attaque de Pearl Harbour en 1941. Dans un style simple, clair, sans trace de haine ou d'une quelconque amertume, Julie Otsuka nous livre un récit implacable inspirée de son histoire familiale.
Dans ce texte empreint de sobriété, les personnages ne sont pas nommés mais ils sont facilement identifiables. Cela peut parfois créer une impression de distance et de froideur avec le lecteur mais l'histoire racontée est suffisamment marquante pour que ce ne soit finalement pas le cas. De plus, chaque membre de la famille est à un moment ou à un autre narrateur dans le roman, ce qui nous permet de mieux saisir sa psychologie, son caractère et son ressenti sur les évènements horribles qu'il est en train de vivre.
La construction narrative du roman est assez complexe et comporte de nombreux retours en arrière, ce qui permet toutefois au lecteur d'établir un parallèle entre la vie avant le camp, la "vie" pendant l'enfermement et le traumatisme que provoque le retour chez soi après une longue absence...
J'ai été frappée et étonnée par le caractère passif, sans entrain, sans volonté de se rebeller face au système de cette famille alors qu'elle était injustement emprisonnée pour des raisons raciales. Le personnage de la mère m'a particulièrement émue, par son courage et sa volonté de se sortir, elle et ses enfants, vivants de cet enfer afin de rejoindre son époux qui a été interné dans un autre camp de prisonniers.
J'ai également admiré la capacité de cette famille à aller de l'avant alors qu'ils ont connu les pires conditions de vies possibles durant la guerre. Ils ont beaucoup souffert et ont été traumatisés par cette expérience mais grâce à leur force de caractère et leur rage de vivre, ils ont trouvé le moyen de passer outre et de pardonner leurs geôliers sans toutefois oublier ce qu'ils ont vécu. Après la guerre, leur volonté de s'intégrer aux Etats Unis ne s'est pas effondrée, au contraire, elle s'est amplifiée comme le montre un passage très réussi à la fin du roman.
J'ai été profondément choquée par le comportement des "natifs" américains (eux-même issus de l'immigration européenne) envers les populations japonaises. Ils les ont été traités comme des sous-hommes, sans respect de leur dignité, ils les ont été méprisés, insultés, exclus à cause de leurs origines et considéré comme des "ennemis de la nation américaine" alors qu'ils souhaitaient être des "bons américains" croyant à l'american dream et au mythe du self-made-man.
De plus, ce livre nous permet d'entamer une réflexion sur cette période sombre de l'histoire des Etats-Unis : en effet, ce "garant de la démocratie" à travers le monde, a lui-même créé et entretenu des camps de concentration sur son territoire en enfermant des citoyens américains (pour une large majorité d'entre eux) pour des raisons qui sont, aujourd'hui encore, très obscures. Certes ces camps étaient moins terribles que ceux fondés par les nazis, mais l'intention est tout de même pleine de sens... La frontière entre "la plus grande démocratie du monde" et les régimes qu'elle combattait à ce moment-là n'était peut-être pas si opaque que cela...
J'ai découvert ce roman grâce au billet rétroactif de Miss Léo pour mon challenge sur la Seconde guerre mondiale et je la remercie de m'avoir fait découvrir cette pépite qui ne laisse pas le lecteur indifférent pendant et après la lecture. J'ai beaucoup aimé découvrir l'univers de Julie Otsuka, son style si particulier, que je pense me procurer dans un futur proche son autre roman récemment sortit en poche.
Ce billet rentre dans le cadre de plusieurs challenges auxquels je participe : il est ma première participation au challenge de MissG portant sur les romancières américaines, il est une nouvelle participation au Plan Orsec 2014 chez George et est bien sûr une de mes partcipations à mon propre challenge portant sur la Seconde guerre mondiale.